« MARS 2221, roman » (chap 11 : Relevé des ventes)

Lectrice, lecteur,

En ce samedi ensoleillé, toi qui, égaré(e) dans l’antre d’un libraire indépendant de sa volonté, hésites entre ses piles de remontées de maltraitances incestueuses trop longtemps réprimées et d’autres, encore plus intrépidement érigées, de « polars » dégoulinants de cadavres atrocement mutilés retrouvés dans le coffre d’une Merco à demi carbonisée par un flic désenchanté dont la fille a été kidnappée et violée pendant qu’il essayait de poser une crotte douloureuse à cause d’un cancer du colon que son ami d’enfance devenu chirurgien célèbre avait pas eu le temps d’opérer avant de se faire décapiter par un patient schizophrène, tout ça bien sûr au fin fond de la sombritude humide des îles Shetland phagocytées par la mafia chinoise, toi qui t’es pas déjà rabattu(e) sur une « série » Fletnix qui te dépossédera en un weekend de tes dernières synapses opérationnelles, voici, pour te redonner goût à la bonne littérature innovante, ton extrait quotidien de «   MARS 2221, roman ». Enjoy !

11. Relevé des ventes

 Anthéa est assise à côté de moi sur mon pieu. Le dernier de la rangée de gauche, dortoir n°4. On a tous été déclarés bons pour le service. Un bot magasinier nous a remis notre paquetage : serviette de toilette, brosse à dents, un jeu de sous-vêtements à faire renouveler tous les deux jours à la blanchisserie et – incontournable sous peine de se voir refouler des serres –  une combinaison aseptique avec cagoule et masque intégré. Le chef jardinier nous attend demain matin à 6 heures, pour nous expliquer comment on enfile tout ça.

– Qu’est-ce qui se passe ? T’as pas l’air en forme d’un seul coup ! C’est vrai que ça l’affiche mal pour un ex Haut Conseiller aux Finances de se voir relégué aux travaux agricoles…

– Désopilant.

D’ordinaire je suis réceptif à l’humour d’Anthéa mais ce soir je me « fais vieux », comme on dit. Le « projet » de Marcel-la-Menace et ses conséquences directes et indirectes sur le cours de mon existence m’a jamais autant pété les couilles. En bon disciple d’Hippocrate, son obsession à Marcel c’était que son Sage entre les sages de patient s’accrochât à la rampe le plus longtemps possible mais, ma parole, 269 printemps et plus ça commence à faire ! D’accord à en croire le Torbicovédongba et sans convoquer des phénomènes de l’état civil comme Brahma ou Vishnu, comparé à Mathusalem (969 tours de soleil), Yared (962), Mahalalel (895) je suis un rookie dans le business de la longévité. Ok, des trompe-la-mort professionnels comme Arpakshad (438), Shélah (non pas « Sheila », elle ça fait un bail que son école est finie) (433) ou Eber (464) auraient eux aussi des leçons de patience à me donner mais nan, franchement ce soir, si quelqu’un pouvait me dépanner d’une pilule de l’Oregon… Mettons deux pour être sûr…

– Excuse, ça doit être le voyage.

Je m’en veux de faire la gueule. Elle y est pour rien, Anthéa. Je me repasse nos galipettes en rentrant du concert silencieux. C’est là qu’entre deux figures de style je l’avais briefée sur mon CV atypique. Ma love affair avec une présidente de la république l’avait explosée.

– Comme ça t’as un super pouvoir ? » elle m’avait demandé.

– J’ai eu avoir un super pouvoir. Puis je l’ai perdu. Puis retrouvé. Puis reperdu. Même que le Poutine, il demanderait pas mieux que je le reretrouve. À mater sa montre en or et ses bagouzes et comment il bave devant les pubs de dômes privés et autres modules de plaisance, pas de doute qu’il saurait quoi en faire, de mon super pouvoir. Je suis pas à l’aise quand il louche sur mon quart de brie…

Anthéa avait hoché sa jolie tête avant d’ étouffer  un bâillement.

– D’après pépère moi aussi je suis une rareté ! Il a commencé à me faire l’article sur un émir qui serait prêt à faire de ma vie un rêve éveillé…

Cette nuit-là, en comparant nos données, on était tombé d’accord que plus vite on se casserait de la Résidence, mieux on s’en porterait. Sachant qu’une fois dehors restait le problème de la survie dans un environnement hostile. Le climat bien sûr mais aussi les querelles inter blocs et leurs retombées radioactives qui rendaient plus qu’hasardeuse une virée hors dôme. Sans parler des Mad Max de bénitier qui guettaient les infidèles au virage  pour les découper en menus morceaux avec la bénédiction pleine et entière des trafiquants d’armes.

– On est pas obligés de rester moisir sur Terra, tu sais lapin. C’est juste que deux allers simples pour Olympus Mons Terminal, ça coûte bonbon.

Je sautais pas de joie à l’idée de passer trois semaines à vomir mes tripes sur un voilier solaire mais si ça pouvait éviter à Anthéa d’avoir à satisfaire les fantasmes d’un pompeur de pétrole vicelard…

– Bonbon comment ? Plus de 140 729 kreds ?

à suivre demain…

« MARS 2221 » ( chap 10 : Entretien d’embauche ) feat Ernard Barnault

Je sais pas pourquoi mais quand je pense « entretien d’embauche » je pense « exploitation du bipède par le bipède » et – c’est marrant les associations d’idées tout de même – quand je pense « exploitation du bipède par le bipède », direct je pense Ernard Barnault.

10. Entretien d’embauche

D’accord on est cinq clodos à faire un peu désordre dans ses fauteuils design mais quand l’hôtesse vient nous dire que malgré l’heure tardive une certaine Mme Cherkaoui, DRH de son état, accepte de nous parler, elle pourrait le faire plus aimablement. Un bot antigrav accompagne la dédaigneuse. Pas programmé pour être poli non plus, il nous crachotte de le suivre.

Ascenseur, cinquième sous-sol, couloirs. On arrive à une porte. Le nom inscrit sur la plaque en PVC prouve que le tas de ferraille a plus le sens de l’orientation que celui des bonnes manières :

RADEGONDE CHERKAOUI

– Radegonde ! Comme ma sœur ! », s’exclame dame Meertens (Anthéa m’a appris que son prénom à elle c’est Vuldetrade).

Le bot la toise pas intéressé avant de toquer respectueusement à la porte.

– C’est toi, D2R2 ? Vas-y, fais entrer !

Je lis une certaine désapprobation dans l’expression du robot ainsi sobriqué. Qui s’efface malgré tout pour nous laisser entrer dans le sanctum sanctorum de sa patronne.

Sans décarrer de derrière son établi couvert de paperasses, ma’ame Cherkaoui nous détaille de ses petits yeux porcins. Nous jauge, nous soupèse, nous étudie, nous inspecte. La cinquantaine disgracieuse, son tailleur veste pantalon gris anthracite craque de toutes parts. Elle se râcle la gorge, faisant tremblotter son double menton.

– Hum, jusqu’ici, je n’ai jamais eu à me plaindre des livraisons du rabbi Lafleur. Je vous propose donc une mise à l’essai d’une semaine au terme de laquelle, si vous cochez les cases, nous aborderons la question plus que subsidiaire d’un éventuel dédommagement de vos efforts. D2R2… » (re air crispé du bot) « …tu vas driver tout ce petit monde à l’infirmerie.

L’infirmerie ? Les prunelles furtives ont capté ma perplexité.

– …Pour l’examen règlementaire, préalable à tout contact d’une entité extérieure avec nos précieux végétaux. Il est hors de question que les standards de générosité et d’altruisme que le directeur général Barnault s’efforce de maintenir dans cette entreprise – le plus souvent au détriment de nos marges bénéficiaires – en arrivent à nous coûter une récolte.

À la mention de son DG, Radegonde Cherkaoui a baissé d’un ton et rajusté sa collerette. Alors que nous nous résignons à rejoindre D2R2 qui a obtempéré et nous attend déjà dans le couloir, elle se croit obligée d’en remettre une couche :

– Petite précision. La PMAL est une chose, l’hébergement à titre gratuit des tire-au-flanc en est une autre. Toute velléité de revendication syndicale serait considérée comme une rupture tacite du contrat moral que vous vous engagez à respecter envers les Jardins. J’espère que c’est clair ? On ferme la porte en sortant.

la suite demain

 

« MARS 2221 » (chap 9 : Anthéa (2), suite et fin)

Vous voulez que je vous dise (les Club Médiapartiens par la barbichette en particulier) ? Le gonze qui a écrit «  MARS 2221, roman », c’est un bon. Et celui qui a bricolé cette illustration, il est pas mauvais non plus. Ah c’est le même ? M’étonne pas.

résumé :  le narrateur retrouve Anthéa au concert du kiosque de la Résidence.

Anthéa survolait ses congénères d’une bonne demi-tête. Quand la bande était passée à portée je m’étais signalé, sucrant généreusement mon T-shirt noir (avec un nœud pap’ rose imprimé sous le menton, ça revenait à la mode). M’ayant calculé, Anthéa s’était extraite du groupe. « On se revoit sur le ring », je l’avais entendue dire à ses petits camarades.

– Ça sent bon ce que tu manges. Tu fais goûter ?

Je lui avais tendu ma gaufre. Elle s’était penchée pour mordre dedans. J’avais senti ses cheveux caresser mon oreille.

– Mmmm, nice.

– Je t’en offre une ?

– Merchi, pas avant de danser ça va m’alourdir… Tu as testé le ring ?

– Le ring ?

Sa parole mais d’où je sortais ? 28 balais, toujours pas intégré, voilà que je savais pas non plus ce qu’était un ring ! La bouche encore pleine, je l’avais suivie jusqu’au kiosque. Alors seulement avais-je remarqué que les boots à hauts talons du DJ touchaient pas le sol. Bowie était un hologramme !  Par contre sa musique silencieuse c’était par les pieds justement que les danseurs la captaient !!! En rigolant comme une bossue de ma stupéfaction, Anthéa m’avait entraîné sur le fameux ring. Large de cinq à six mètres, il faisait le tour du kiosque, d’où son nom. À peine j’avais posé le pied dessus que les basses profondes d’un disco alien – synthèse improbable entre les chants sacrés du Tibet, les roucoulades des soprani milanaises et les chœurs de l’Armée Rouge – avaient pris possession de mon corps.

Je vivais ma première expérience ostéophonique. J’avais lu quelque part que Louis du Champ de Betteraves (c’est vrai que ça sonne mieux en allemand), devenu sourd et désireux de continuer à entendre la musique qu’il écrivait, avait eu recours à une tige conductrice allant de son piano à ses dents afin que les vibrations ressenties par sa mâchoire l’aident à compenser son fâcheux handicap. À la différence du compositeur de la Pastorale, moi c’était par le gros orteil puis les os de la jambe et la colonne vertébrale que la rythmique endiablée du DJ hologrammatique remontait jusqu’à mon oreille interne.

Anthéa rouvre les yeux et s’étire. Voyant que je la regarde, elle me fait une grimace. Aussi dur qu’elle essaie, elle réussira jamais à pas être belle. La nuit du concert silencieux, elle m’avait ramené chez elle. On avait pas dormi des masses.

à suivre, demain au plus tard

« MARS 2221 » (chap 9 : Anthéa (2))

Hier j’expliquais aux murs qu’il y avait toujours moyen de s’améliorer. Je croyais pas si bien dire. Tout à l’heure en relisant l’extrait que je poste aujourd’hui (« ojardui » en France-Culturien), voilà que je tombe sur ma hantise toutes catégories : la faute d’orthographe du  branleur  parfait. Les murs vérifieront par eux–mêmes. Sur la copie officielle de «  MARS 2221, roman », chap 9 : Anthéa (2), j’ai écrit et fait imprimer « à cause du martyr que leurs prédécesseurs avaient enduré ». J’ai pas le temps de m’étendre because 8 stères à tasser avant le retour des pluies prévu pour dimanche mais franchement je sais plus où m’en mettre ! Bien sûr j’ai corrigé aussi sec. En acte de contrition, j’ai même apporté quelques améliorations au texte original qui auraient certainement plu à Edmond de Goncourt.

Bonne lecture !

9. Anthéa (2)

 En un siècle et demi, la clinique du professeur Marcel avait troqué une à une ses élégantes constructions en meulière – dont la « demeure luxueusement dépouillée » que le professeur avait fait édifier pour le plus grand confort de son « guide spirituel » (toujours pas lu Hippocampe Twist, les loulous ?) – contre des tours aux profils élancés et néanmoins lugubres. Leurs antennes tutoyaient le dôme translucide de la cité autonome au sein de laquelle des cadres supérieurs en blouse blanche occupaient leurs journées à déchiffrer les mystères de la vie, les bidouillant en cas de besoin, pour la plus grande gloire de la Science. Des cadres supérieurs docteurs, professeurs, chirurgiens secondés par une kyrielle d’encadrés jongleurs d’éprouvettes, pianoteurs de claviers, scruteurs d’écrans.

Lors de mes balades autour du studio standing avec vue sur le parc dont Poutine m’avait remis la clé au jour de ma résurrection, je m’efforçais d’éviter la boucherie-charcuterie de la tour « Physiologie Comparée ». Qui dit « recherche expérimentale » dit « sujets d’expérimentation ». Le département « Physiologie Comparée » en faisait une consommation quotidienne, de ces infortunés mammifères. Aboiements désespérés, miaulements indicibles, hurlements de chimpanzés à bout de souffrance incrédule montaient parfois d’une fenêtre laissée ouverte par inadvertance. Je ressentais un sentiment de honte insondable à la pensée que si j’étais là pour les entendre, c’était en partie à cause du martyre que leurs prédécesseurs avaient enduré.

À l’inverse, le kiosque à musique était une de mes destinations préférées. Si son toit octogonal en zinc posé sur des piliers finement ciselés avait existé du temps de Marcel, je m’en serais souvenu. La nuit était tombée. Impatient et ému comme un collégien à l’idée de revoir Anthéa, je m’étais frayé un passage entre les massifs de cornouillers. Il y avait foule autour du kiosque. Sous lequel un jeune mec dont la dégaine évoquait Bowie période « Ziggy Stardust » tortillait du cul, tirant et poussant une myriade de commandes lumineuses piquées comme des clous de girofles sur une sphère en apesanteur. D’accord y aurait pas eu la place pour le London Royal Philharmonic mais là, un simple DJ, aussi sexy fût-il, j’étais un peu déçu… Et le public ? Il dansait sur quoi, le public ? J’entendais pas de musique ! Bah ce devait être un genre d’échauffement, un peu comme les enshortés de la Champions League avant le remplacement tant espéré… Parmi eux aucune trace d’Anthéa. Un food-truck était stationné un peu plus loin. Je m’étais dit que je craquerais bien pour une gaufre de consolation. Aussitôt dit aussitôt fait. J’étais occupé à en épousseter le trop plein de sucre glace quand une bande d’allumés à crêtes multicolores et maquillages outranciers avaient fait leur apparition à l’entrée du square.

 

la suite demain sans faute

« MARS 2221 », (chap 8 : Anthéa (1), suite et fin) feat Edmond de Goncourt

 

Ouin 🙁 Depuis que je leur livre «  MARS 2221, roman » à domicile, prédécoupé et tout, les Médiapartien(ne)s me lâchent plus le moindre « recommander » (« commander » me suffirait  en fait). Sont quand même pas tous libraires indépendant(e)s de leur volonté, les Médiapartien(ne)s ? Si ? Bah c’est pas bien grave. Mon idée de départ c’est de relire un roman « qu’il est drôlement bien torché même que c’est moi qu’il l’a écrit » comme on dit sur France Culture. Et vu que je suis d’un naturel partageux autant que fervent partisan de la gratuité en toute chose… En plus j’en profite pour réécrire certains passages… On peut toujours  mieux faire ! Même Edmond Goncourt il aurait pu dû essayer de mieux faire, des fois. Prenons une phrase au hasard d’un de ses nombreux chefs-d’œuvre hélas tombés dans l’oubli pendant que sa fondation, à son frérot et à cézigue, pète les scores. Je vous la remémore :

« Cette invitation est une ravissante petite carte 1, au haut 2 de laquelle danse un couple 3, aux 4 sons d’un orchestre mêlé au 5 monde d’un salon 6, 7 éclairé à giorno 8. »

1 l’ adjectif placé avant le nom ? On frôle l’anglicisme, Ed !

2 « au haut » ? phonétiquement c’est plutôt avant-gardiste non ?

3 le verbe qui précède le sujet ? T’es sûr que ça s’impose sur ce coup-là ?

4, 5  « Que de au(x) ! » comme le maréchal de Mac Mahon se serait (presqu’) exclamé devant les crues de la Garonne.

6  « les sons d’un orchestre mêlé au monde d’un salon » ? Surréaliste avant l’heure de mixer ouie et vue de la sorte, quoiqu’on y gagne pas en compréhension !

la virgule qui sème le doute : qu’est-ce qu’on éclaire « à giorno » dans ton histoire, Edmond ? Le couple, l’orchestre, le monde du salon, le salon lui-même ? Mais, dans cette dernière hypothèse, pourquoi la virgule ?

8  En italien dans le texte (sauf l’accent sur le « a », Eddy ! Bah, te connaissant, tu avais pressenti la réforme de l’orthographe de 1990).

Si l’idée d’un texte aussi génial m’avait jamais effleuré, j’aurais opté pour une version du genre :

« Cette invitation est une petite carte ravissante en haut de laquelle un couple danse. Les membres de l’orchestre se mêlent au monde du salon, sous un éclairage a giorno. » Mais bon…

Tiens, une prochaine fois on essaiera de tirer quelque chose de la prose de Michel Onfray de la princesse. Ou bien – mais là faut avoir fumé et pas que du haschich – celle de BHL de poulet !

Là tout de suite on avance dans « MARS 2221, roman ».

résumé : le narrateur se remémore sa rencontre avec Anthéa.

Anthéa, la première fois que je l’ai vue, c’était dans la salle d’attente du cabinet de consultation du chirurgien Poutine. En train de dormir pareil. Un reader gisait à ses pieds, encore allumé. Je l’avais ramassé, éteint et, avant de m’asseoir à mon tour, déposé sur la table avec les autres. Réveillant la dormeuse. Dont les paupières s’étaient ouvertes sur deux lagons bleu turquoise. Dans lesquels j’avais plongé direct.

– Oh merci. Il a dû me glisser des mains… Ces somnifères devraient être remboursés par la Sécu.

– J’avoue. Le docteur Frankenstein a pris du retard dans ses rencards, on dirait !

– Le docteur Frankenstein ?

Ma vanne était tombée à plat. Comment cette jeune personne – je lui donnais pas plus de 18 ans – aurait eu vent d’un roman vieux de quatre siècles, aussi génial soit-il ?

– Poutine. C’est pas avec lui que vous avez rendez-vous ?

– Si hélas !

Les coups de foudre, c’est l’histoire de ma vie sentimentale. Et voilà qu’à 269 ans passés je remettais le couvert. Anthéa m’avait souri, indulgente. Elle devait avoir l’habitude d’électrocuter les gens.

– Ne restez pas debout, ça m’épuise.

Je m’étais posé à côté d’elle. Sa voix rauque, traînante hésitait entre Lauren Bacall et John Malkovich (toutes mes excuses au lecteur du 23ème siècle, là encore mes références datent un peu). Anthéa tapait le mètre quatre-vingt sans problème. Seul son visage le rangeait dans le camp des filles. Et encore. Sous le maquillage discret, une mâchoire inférieure à la Michel Vaillant s’en venait semer le doute. Elle avait froncé les sourcils.

– C’est marrant je ne vous ai jamais croisé dans la Résidence. Vous êtes un clone, vous aussi ?

– Ça se voit tant que ça ?

J’avais arboré un air penaud.

– Ha ha, le prends pas mal ! Au contraire, c’est un compliment ! On va se tutoyer ok ?

– Ça me ferait plaisir.

– Eh ben je sais pas si t’as remarqué, la plupart des VO qui circulent dans le coin, on dirait des zombies. Sans parler de leur haleine… Paraît que l’intello moyen n’est jamais très copain avec son système digestif… Bref t’es pas comme eux, c’est cool.

Les « VO » ! Je m’étais marré.

– …Heureusement j’en ai plus pour longtemps à supporter ces ulcéreux congénitaux. La dernière fois, Poutine m’a dit qu’on allait bientôt pouvoir me lâcher dans la nature. Il a beau dire que dehors c’est pas la fête tous les jours, j’ai hâte.

Merde, elle allait se casser !

– Tu…  Tu vas t’en aller ? Quitter la Résidence ?

Re froncement de sourcils.

– Bah c’est pas encore fait. Les tests d’« intégration psycho sociale » c’est tout sauf une formalité. T’en sais quelque chose, non ? T’as quel âge, sans indiscrétion ?

– Vingt-huit.

Je m’étais senti piquer un fard. Je mentais pas sur l’âge que Poutine m’avait donné, sauf qu’à bien y réfléchir j’étais rien qu’un vieux dégueulasse de 269 balais en train de tirer des plans sur une mineure ou assimilée.

Elle avait secoué la tête, délogeant une boucle de ses cheveux platine, coupés au carré. Par chance, la paire de loches qui s’était alors pointée dans l’entrebâillement de la porte du cabinet de consultation m’avait dispensé de fastidieux éclaircissements.

Marinella rafistolait son chignon, une épingle dans une main, une autre entre les dents. Son rouge à lèvres avait grand besoin d’un raccord.

– Anfhéa ? le chirurgien Poufine est prêt à te refevoir.

« Anfhéa » s’était levée sans précipitation. Avant de filer le train de l’assistante en cours de ravaudage elle s’était retournée et m’avait lâché, désinvolte :

– Il y a un concert au kiosque ce soir. J’irai certainement faire un tour…

 

à suivre demain