Entretiens avec Léon (3)

Manuel de l’utilisateur

-Bon alors, admettons qu’on finisse par récupérer le terrain. Resterait à y bâtir du solide.
-Et cette fois, on ne commencerait pas par les clôtures! Quand j’ai un coup de mou, pour me remonter le moral je pense au premier guignol qui a eu l’idée de faire le tour de son mobil-home en crotte de hyène, la quéquette à la main, en marmonnant, entre deux rots chargés en houblon fermenté : « A partir de maintenant, partout où j’ai pissé, je vous préviens que c’est…burp…chez moua !!! »…

 
-Et ça te fait rire ?

 
-Ben oui… J’y peux rien si j’ai pas la fibre tragique. J’y peux rien si les galères de mes semblables, qui sont aussi les miennes, m’apparaissent presque toujours comme l’aboutissement trop prévisible d’un comportement délirant face à une réalité pourtant relativement prosaïque. En l’occurrence, à la différence du passionnant paradoxe du premier débarqué ici-bas, de la poule ou de l’œuf, la question ne se pose pas une seconde quant au couple maudit propriétaire/voleur. Je suggère de les déclarer ex-æquo. Mieux, nos deux lascars ne sont qu’une seule et même personne puisque, toute chose sous le soleil n’appartenant, par essence, à quiconque en particulier, le premier psychopathe à s’en bombarder « propriétaire » n’en est subséquemment que le gros voleur.

 
-Hélas, s’il eût été relativement aisé de botter le cul du premier propriétaire/voleur dès l’apparition des premiers symptômes, au stade actuel du développement du virus, c’est une autre paire de manches…

 
-Pas de défaitisme, gars Léon ! Que sont quelques millénaires d’égarement dans l’évolution d’une espèce quand on sait que les dinosaures, ont reconduit leur bail sur plus de 180 millions d’années…D’ailleurs plus je repense à nos petits cailloux, plus je m’interroge : au bout du compte, est-ce que le Torbico ne pourrait pas faire l’affaire ? …N’est-il pas le journal de bord d’une culture en perdition ? Un genre de « boîte noire » qui, à l’opposé de ses intentions didactiques, décrit en fait par le menu les causes des dérapages non contrôlés, fautes de conduite et autres plantages d’itinéraire qui font qu’on n’arrête pas d’arrêter d’évoluer…

 
-Ca me rappelle un sketch de Raymond Devos…Tu sais, le mec qui s’engage sur un rond-point pour s’apercevoir que toutes les sorties sont en sens interdit…

 
-Il y a de ça, oui. En tous cas, il nous suffirait peut-être, pour retrouver notre chemin, de nous diriger tranquillement dans le sens inverse de celui que le team juchréman, à grand renfort de menaces, tortures, exterminations, mais aussi, plus subtilement, prises de tête, abêtissement quotidien et culpabilisation politico-économique, nous oblige à suivre depuis qu’il mène la course.

 
-Exemple ?

 
-Prenons notre propriétaire/voleur des origines : il s’estimait peut-être justifié dans son mâle arrosage par des encouragements venus d’en haut, genre : « “Monte sur cette cime des Abarîm, sur le mont Nébo, situé dans le pays de Moab en face de Jéricho, et contemple le pays de Canaan, que je donne aux enfants d’Israël en propriété » (Deutéronome 32, 49) , ou bien: « Mais j’extrairai de Jacob une lignée, et de Juda des possesseurs de mes montagnes: mes élus en auront la propriété, et mes serviteurs y résideront. » (Isaïe 65,9), ou encore « ..et, ayant détruit sept nations au pays de Canaan, il leur en accorda le territoire comme propriété. » (Actes 13,19). On observera que la saison 3 du Torbico  est  principalement consacrée à la propriété sous son aspect transmissible : « Remettez à  vos femmes leur dot en toute propriété. Mais si elles vous en abandonnent une partie, de bonne grâce, vous pouvez en disposer en toute tranquillité. » (Coran, An-Nisaa 4.4)

 
-Ha ha! Et la marmotte, elle met le choc …

 
-Allons, Léon, pas d’islamophobie gratuite! Mon intention, à l’évocation de ces pseudo commandements divins est simplement d’encourager les « croyants » – puisque c’est le nom qu’ils se donnent – à s’enquérir de manière plus détaillée des tenants et aboutissants de leur « croyance », tels qu’inscrits noir sur blanc dans leurs manuels-de-l’utilisateur, indigestes à dessein, un peu comme ces contrats d’assurance dont les addenda incompréhensibles remettent systématiquement en question les engagements mirobolants pris dans le spot publicitaire.

 
– En l’occurrence, pour attirer le “client potentiel” comme on dit à la télé donc partout, on lui vante l’impartialité généreuse autant que désintéressée d’un Dieu de miséricorde “net vendeur” bien au-dessus, au propre comme au figuré, des petites mesquineries de ses créatures…

 
-… mais il suffit d’ajuster ses lunettes et de se pencher sur les « modalités soumises à condition » pour découvrir à chaque alinéa une nouvelle facette d’un Eternel Yavallah décidément omniscient que c’est rien de le dire. En l’occurrence, on sait que la foi est aveugle mais il faut aussi qu’elle ait de graves problèmes d’audition pour ne pas déceler dans les citations qui précèdent, des propos que, si ce n’était pour leur caractère divinement arbitraire, l’on penserait directement sortis de la bouche d’un agent immobilier sinon d’un docteur en droit rompu aux embrouilles notariales les plus sophistiquées.

 
-Cela dit, il n’y a pas que le Torbico qui revendique le bien-fondé de la notion de propriété inaliénable et sacrée.

 
-Non mais je n’ai jamais entendu parler d’un autre catalogue divinement inspiré qui en règle les modalités en long, en large et en travers avec un tel souci du détail. La meilleure preuve c’est qu’aux quatre coins de notre ronde planète, quelle que soit la superstition en vigueur, il y a bien longtemps que toute transaction sérieuse se négocie en anglais et se finalise en dollars, langue et devise juchrémanes par excellence.

 
-Ton intention, si je peux te relayer pendant que tu reprends ta respiration, est donc d’encourager le citoyen « croyant » à se demander si, sous couvert de révélations de la plus haute importance pour son salut éternel, les signataires du Torbico et leurs descendants de sagesse, ne cherchent pas, en tout état de cause…

 
-…Et belle soirée à toi…

 
-… A lui inculquer les réflexes du parfait pigeon social, dont la récompense, s’il fait tout bien comme on lui dit, à genoux, à quatre pattes ou en quelque position agréée par les autorités compétentes, sera de se voir transmis le droit divin de plumer à son tour ses infortunés cosuperstitionnaires…

 
-…Conscients ou inconscients !

 
-Pardon ?

 
-J’entends par « cosuperstitionnaire inconscient » l’hominidé de base, toi, moi ou n’importe quel quidam qui, sans jamais avoir trempé le bout de son museau dans le moindre bénitier ni l’avoir pieusement essuyé sur le moindre tapis de prière, se trouve généalogiquement embarqué dans le maelstrom culturel engendré par une mythologie entrée de force dans les mœurs. En gros, l’immense majorité du corps électoral.

 
-Le « dêmos » quoi…

 
-Oui, celui qui exerce son « kratos » sur lui-même.

 
-Par l’intercession miraculeuse du premier beau gosse nain à gros derrière qui lui tombe sous le bulletin…

 

 

-En quelque sorte.