Archives mensuelles : février 2014

Entretiens avec Léon (3)

Manuel de l’utilisateur

-Bon alors, admettons qu’on finisse par récupérer le terrain. Resterait à y bâtir du solide.
-Et cette fois, on ne commencerait pas par les clôtures! Quand j’ai un coup de mou, pour me remonter le moral je pense au premier guignol qui a eu l’idée de faire le tour de son mobil-home en crotte de hyène, la quéquette à la main, en marmonnant, entre deux rots chargés en houblon fermenté : « A partir de maintenant, partout où j’ai pissé, je vous préviens que c’est…burp…chez moua !!! »…

 
-Et ça te fait rire ?

 
-Ben oui… J’y peux rien si j’ai pas la fibre tragique. J’y peux rien si les galères de mes semblables, qui sont aussi les miennes, m’apparaissent presque toujours comme l’aboutissement trop prévisible d’un comportement délirant face à une réalité pourtant relativement prosaïque. En l’occurrence, à la différence du passionnant paradoxe du premier débarqué ici-bas, de la poule ou de l’œuf, la question ne se pose pas une seconde quant au couple maudit propriétaire/voleur. Je suggère de les déclarer ex-æquo. Mieux, nos deux lascars ne sont qu’une seule et même personne puisque, toute chose sous le soleil n’appartenant, par essence, à quiconque en particulier, le premier psychopathe à s’en bombarder « propriétaire » n’en est subséquemment que le gros voleur.

 
-Hélas, s’il eût été relativement aisé de botter le cul du premier propriétaire/voleur dès l’apparition des premiers symptômes, au stade actuel du développement du virus, c’est une autre paire de manches…

 
-Pas de défaitisme, gars Léon ! Que sont quelques millénaires d’égarement dans l’évolution d’une espèce quand on sait que les dinosaures, ont reconduit leur bail sur plus de 180 millions d’années…D’ailleurs plus je repense à nos petits cailloux, plus je m’interroge : au bout du compte, est-ce que le Torbico ne pourrait pas faire l’affaire ? …N’est-il pas le journal de bord d’une culture en perdition ? Un genre de « boîte noire » qui, à l’opposé de ses intentions didactiques, décrit en fait par le menu les causes des dérapages non contrôlés, fautes de conduite et autres plantages d’itinéraire qui font qu’on n’arrête pas d’arrêter d’évoluer…

 
-Ca me rappelle un sketch de Raymond Devos…Tu sais, le mec qui s’engage sur un rond-point pour s’apercevoir que toutes les sorties sont en sens interdit…

 
-Il y a de ça, oui. En tous cas, il nous suffirait peut-être, pour retrouver notre chemin, de nous diriger tranquillement dans le sens inverse de celui que le team juchréman, à grand renfort de menaces, tortures, exterminations, mais aussi, plus subtilement, prises de tête, abêtissement quotidien et culpabilisation politico-économique, nous oblige à suivre depuis qu’il mène la course.

 
-Exemple ?

 
-Prenons notre propriétaire/voleur des origines : il s’estimait peut-être justifié dans son mâle arrosage par des encouragements venus d’en haut, genre : « “Monte sur cette cime des Abarîm, sur le mont Nébo, situé dans le pays de Moab en face de Jéricho, et contemple le pays de Canaan, que je donne aux enfants d’Israël en propriété » (Deutéronome 32, 49) , ou bien: « Mais j’extrairai de Jacob une lignée, et de Juda des possesseurs de mes montagnes: mes élus en auront la propriété, et mes serviteurs y résideront. » (Isaïe 65,9), ou encore « ..et, ayant détruit sept nations au pays de Canaan, il leur en accorda le territoire comme propriété. » (Actes 13,19). On observera que la saison 3 du Torbico  est  principalement consacrée à la propriété sous son aspect transmissible : « Remettez à  vos femmes leur dot en toute propriété. Mais si elles vous en abandonnent une partie, de bonne grâce, vous pouvez en disposer en toute tranquillité. » (Coran, An-Nisaa 4.4)

 
-Ha ha! Et la marmotte, elle met le choc …

 
-Allons, Léon, pas d’islamophobie gratuite! Mon intention, à l’évocation de ces pseudo commandements divins est simplement d’encourager les « croyants » – puisque c’est le nom qu’ils se donnent – à s’enquérir de manière plus détaillée des tenants et aboutissants de leur « croyance », tels qu’inscrits noir sur blanc dans leurs manuels-de-l’utilisateur, indigestes à dessein, un peu comme ces contrats d’assurance dont les addenda incompréhensibles remettent systématiquement en question les engagements mirobolants pris dans le spot publicitaire.

 
– En l’occurrence, pour attirer le “client potentiel” comme on dit à la télé donc partout, on lui vante l’impartialité généreuse autant que désintéressée d’un Dieu de miséricorde “net vendeur” bien au-dessus, au propre comme au figuré, des petites mesquineries de ses créatures…

 
-… mais il suffit d’ajuster ses lunettes et de se pencher sur les « modalités soumises à condition » pour découvrir à chaque alinéa une nouvelle facette d’un Eternel Yavallah décidément omniscient que c’est rien de le dire. En l’occurrence, on sait que la foi est aveugle mais il faut aussi qu’elle ait de graves problèmes d’audition pour ne pas déceler dans les citations qui précèdent, des propos que, si ce n’était pour leur caractère divinement arbitraire, l’on penserait directement sortis de la bouche d’un agent immobilier sinon d’un docteur en droit rompu aux embrouilles notariales les plus sophistiquées.

 
-Cela dit, il n’y a pas que le Torbico qui revendique le bien-fondé de la notion de propriété inaliénable et sacrée.

 
-Non mais je n’ai jamais entendu parler d’un autre catalogue divinement inspiré qui en règle les modalités en long, en large et en travers avec un tel souci du détail. La meilleure preuve c’est qu’aux quatre coins de notre ronde planète, quelle que soit la superstition en vigueur, il y a bien longtemps que toute transaction sérieuse se négocie en anglais et se finalise en dollars, langue et devise juchrémanes par excellence.

 
-Ton intention, si je peux te relayer pendant que tu reprends ta respiration, est donc d’encourager le citoyen « croyant » à se demander si, sous couvert de révélations de la plus haute importance pour son salut éternel, les signataires du Torbico et leurs descendants de sagesse, ne cherchent pas, en tout état de cause…

 
-…Et belle soirée à toi…

 
-… A lui inculquer les réflexes du parfait pigeon social, dont la récompense, s’il fait tout bien comme on lui dit, à genoux, à quatre pattes ou en quelque position agréée par les autorités compétentes, sera de se voir transmis le droit divin de plumer à son tour ses infortunés cosuperstitionnaires…

 
-…Conscients ou inconscients !

 
-Pardon ?

 
-J’entends par « cosuperstitionnaire inconscient » l’hominidé de base, toi, moi ou n’importe quel quidam qui, sans jamais avoir trempé le bout de son museau dans le moindre bénitier ni l’avoir pieusement essuyé sur le moindre tapis de prière, se trouve généalogiquement embarqué dans le maelstrom culturel engendré par une mythologie entrée de force dans les mœurs. En gros, l’immense majorité du corps électoral.

 
-Le « dêmos » quoi…

 
-Oui, celui qui exerce son « kratos » sur lui-même.

 
-Par l’intercession miraculeuse du premier beau gosse nain à gros derrière qui lui tombe sous le bulletin…

 

 

-En quelque sorte.

 

 

Entretiens avec Léon (2)

Du Torbico à l’Utopie

-Sinon, à la télé, donc partout, les voilà tous plus ou moins pileux du museau, t’as vu ?
-Mouais ! En tout état de cause et belle soirée à vous ! Je suppose que c’est le kratos du dêmos  juchréman sur lui-même qui finit par faire prendre à ce dernier sa bouche pour son trou de balle. Quand tu entends la diarrhée de promesses intenables que nos maîtres chanteurs au bonheur par les urnes nous lâchent du matin au soir, de munislipales en europétaines, rien d’étonnant à ça !
-Chien de mécréant abstentionniste va !
-T’as raison ! « Elis-moi que tu te domines à travers moi ! » Selon la volonté de l’Eternel Yavallah qui nous a sortis des poubelles du néant pour mieux nous jeter dans celles de la schizophrénie ! Comme si on n’avait que ça à faire de nominer aux escarres des menteurs professionnels qui, à peine mandatés par notre crédulité congénitale, s’empresseront de nous rouler dans la farine comme les derniers pavés de saumons d’élevage fourrés aux antibiotiques tombés de l’arche de Nono l’ivrogne…
-Toujours cette culture du pouvoir…
-Des fois je me dis qu’il aurait fallu, comme le Petit Poucet, semer des cailloux  depuis notre sortie, plus qu’imprudente, des bonnes vieilles cavernes au fond desquelles, même si ça sentait un peu les pieds, au moins on pouvait casser la croûte sans avoir à bafouiller un bénédicité en guise d’apéro ni se demander si le mammouth dans lequel on était en train de se tailler une bavette avait été estourbi dans les règles  cashal telles que formulées à la page 11458 du Torbico…
-Du Torbico ?
-Ben oui ! Les superstitions juives,chrétiennes et musulmanes revendiquant, à un ou deux prophètes près,  les mêmes têtes de liste pour leurs programmes de bonzaïsation mentale de la gent hominidée , je propose, dans la foulée, de regrouper leurs fameux livres de recettes de cuisine divine –Torah, Bible, Coran- qui, à les entendre, n’en font qu’un avec une majuscule, sous l’appellation chic et sympa de Torbico, avec une majuscule pour choquer personne…
-Ah d’accord ! et « cashal » c’est pour casher et halal ?
-Tank à fer ! Bon, je disais que si, depuis le temps où les poils ne nous poussaient pas que autour du bec, on avait pensé à semer des petits cailloux, ils nous aideraient bien, aujourd’hui, à nous extirper du merdier insensé dans lequel ledit Torbico, avec une majuscule, nous a plongés. On pourrait refaire à l’envers le pénible chemin jusqu’au stade de notre darwinienne évolution qui correspond à la prise de conscience de notre condition de mortels, apparemment déstabilisante au point de nous avoir fait inventer, en manière de compensation, des histoires de créateur du ciel, de la terre et, dans la foulée, de l’ostéoporose, des rhumatismes articulaires, hémorroïdes et autres tumeurs plus ou moins bénignes qui pimentent avec bonheur notre train-train quotidien et, pour se sentir moins seuls sur cette chic planète, celui des souris des labos de nos savants de Marseille et d’ailleurs…
-Auquel cas il nous faudrait remonter jusque bien avant les Juchrémans ?
-Sans aucun doute, Helmut ! Et bien avant les Egyptiens par eux outrageusement plagiés ! Des Egyptiens qui avaient eux-mêmes outrageusement plagié les Mésopotamiens. Pour les proto-Chinois,  les proto-Hindous et autres proto-Nazetèques arracheurs de cœurs de gamins vivants, les historiens ne sont pas trop sûrs mais il y a fort à parier que, tous autant qu’ils sont et d’où qu’ils viennent, les ancêtres de nos ancêtres à tous autant qu’on est – rappelons aux étourdis qu’il n’existe qu’UNE espèce dite « humaine »- dès qu’ils ont eu le temps de faire un break dans leur incessante quête de bon miamiam et de protection contre les autres bestioles qui, égoïstement, rechignaient à nous lâcher la pole position dans la chaîne alimentaire, se sont mis à gamberger, et comme on continue à le faire aujourd’hui dès qu’il se passe un truc un peu louche, CHERCHER UN RESPONSABLE !!!
-Toi, je sens que tu vas me citer Cicéron! Tu vas me dire que le premier dieu des mortels a été le soleil !

 

 

-Oui et non parce que, à l’époque où on s’est mis à faire le beau sur nos pattes arrières, rendant d’autant plus commode l’observation de tout un tas de phénomènes qui, jusqu’alors, nous passaient comme qui dirait par-dessus la tête, on a quand même continué à sacraliser les grosses bêbêtes dont on aimait trop à se farcir la panse, ne serait-ce qu’en se persuadant de retrouver leurs contours poilus dans le ciel d’été. Notons au passage que, de nos jours post modernes, il n’est pas rare de continuer à entendre dire que l’ « on est ce que l’on mange »…Mais, bon, reconnaissons que, oui, le soleil, dans son unicité resplendissante, semble emporter tous les suffrages en tant que cause première des superstitions successives nous ayant conduits à la bonne vieille civilisation juchrémane qui nous squatte le cerveau depuis deux millénaires et demi…
-…Nous pourrissant méthodiquement toutes nos chances d’évoluer…
-…Et rendant de plus en plus urgent un vaste nettoyage de printemps de nos circuits cognitifs, nos « logiciels » comme on dit à la télé donc partout, afin de pouvoir passer aux choses  sérieuses, savoir : prendre enfin nos distances vis-à-vis du règne animal et aborder aux rivages dorés de l’Humain, un continent dont les coordonnées nous échappent encore complètement.
-Tu serais pas une réincarnation de Christophe Colomb, des fois ?
-Gaulé ! Même que « mon Amérique à moi », comme dirait J. Brel, ça serait, je le dis et le répète, de voir les malheureux bipèdes en quête d’identité que nous sommes devenus se débarrasser enfin des oripeaux malodorants de la trilogie Ju (domination des « élus » sur les autres) Chré (culpabilisation/jalousie des « autres » de ne pas faire partie des « élus », mais rédemption par le pognon envisageable) Mane (asservissement de la femelle par le mâle, comme ça même les dominés ont quelqu’un sur qui se défouler). Evidemment, je caricature, comme diraient Rame-à-Dents et Finequellecroûte, les fameux duettistes.
-Utopie, sors de ce corps !
-Tu rigoles mais quand tu colportes des histoires à dormir debout vantant les exploits d’un gugusse qui coupe la mer en deux avec sa canne à pêche ou d’un autre, cool de chez cool, qui ressuscite les copains d’un claquement de doigts ou, pire, quand tu déclares sans rire que, divinement parlant, il faut le témoignage d’au moins deux femmes pour oser remettre en cause celui d’un seul homme, tout va bien pour toi, on t’appelle « mon père », « mon rabbi » ou « mon uléma» MAIS si tu as le malheur de dire que c’est pas le dernier avatar en date d’un soleil de moins en moins discernable à travers le brouillard de dioxyde de carbone qui nous gâche la vue sur la ceinture de détritus en orbite autour de notre planète chérie, qui va nous expliquer comment faire son gras sur le dos du voisin et qu’au contraire on gagnerait tous à vivre notre courte vie selon d’autres schémas qu’une hiérarchie politico-économique soi-disant validée par les plus nombreux une fois tous les cinq ans…

-Jamais tu respires quand tu causes?

-…Ainsi qu’une sacrosainte propriété individuelle transmissible de branche en branche le long d’un genre de baobab planté là de toute éternité par on sait même pas quel notaire payé à la com, alors là, pour le coup, on te fait souffler direct dans le ballon et t’es plus jamais invité chez David Pyjamas !
-Ah ah! En voilà un qui a échappé de peu à une belle carrière dans le lancer de nains…Ce qui nous ramène au Petit Poucet. Mais dis-voir, gars Franck-Yvon, sans les petits cailloux, c’est pas gagné pour retrouver le bon embranchement…
-C’est pas perdu non plus, gars Léon. Tu sais que le mot « utopie », inventé en 1516 par un certain Thomas More, veut plus ou moins dire « lieu qui n’existe pas » ? Rien à voir avec le sens qu’on lui donne à la télé donc partout, savoir : « lieu qui ne peut pas exister ». Surtout que le « lieu », il existe bel et bien ! D’accord, c’est rien qu’une tite planète, paumée au fond de la lointaine banlieue d’une vague galaxie parmi une infinité d’autres mais, avec un chouïa de bon sens et de solidarité entre mortels, on pourrait en faire un coin sympa, sous un soleil qui ne serait pas un dieu irascible, toujours prêt à enfiler sa fausse barbe pour nous faire des misères, mais tout bonnement un objet céleste plus ou moins identifié et en tous cas bien pratique pour se chauffer les fesses  et un ciel aussi bleu que possible qui donnerait envie d’ y monter faire un tour. Et pas que quand on serait mort. Simplement quand on aurait fait des progrès en calcul mental…

Entretiens avec Léon

L’hiver ne semblant pas décidé à finir de nous pisser sur le museau, je dédie à cèlzéceux qui n’ont pas les moyens d’aller faire les bouffons dans les couloirs d’avalanches, ces Entretiens avec Léon. Bonne lecture!

Mon grand-père, la Bible et moi

-Salut Franck.
-Salut Léon.
-Pourquoi t’écris plus de chansons?
-Tu me poses une colle. Je saurais pas dire. Peut être que c’est pas la saison…
-Mais t’envisages d’en écrire d’autres, un jour?
-Pourquoi pas…
-Bon et Les Aventures de Moïse, qu’est-ce qui t’a donné l’idée de te lancer dans ce truc?
-Ah alors ça, ça remonte! Ca remonte à mon grand-père maternel. Celui qui, à quatre-vingts ans passés, depuis la chaise de jardin qu’il ne quittait plus souvent, m’a enseigné l’art subtil du patin à roulettes. Et pourtant, de sa vie, il n’avait jamais pratiqué…Pas grave : d’après lui, et c’était une formule applicable à quelque apprentissage que ce soit, il suffisait de vouloir et si, en plus, on se donnait la peine de réfléchir cinq minutes au pourquoi du comment de l’exploit à accomplir, on avait toutes les chances de réussir son coup. Sachant qu’en suivant ses précieux conseils il ne m’avait pas fallu longtemps pour patiner comme un boss, pourquoi aurais-je mis en doute le bien-fondé de sa lecture plus que négative de la Bible? De l’Ancien Testament, plus exactement…
-Tu savais faire la différence entre les deux ?
-A l’époque non…
-Tu avais quel âge ?
-Six ou sept ans.
-C’est pas un âge pour les grands débats théologiques, ça !
-Ni quatre-vingts pour le roller…Cela dit, Les Aventures de Moïse ne s’intéressent à la superstition juchrémane que sous son aspect culturel, voire socio-économique. Contrairement à mon grand-père, je ne me suis jamais senti particulièrement offusqué par les scénarios, pourtant nauséabonds, qui font du plus vieux livre du monde occidental le plus vieux catalogue des perversions homo sapiennes recensées à ce jour et de la pseudo divinité maniaco-dépressive qui leur sert de fil conducteur un des cas d’école les plus aboutis du genre.
-En gros, ce qui te gêne dans l’histoire c’est plus l’ivresse que le flacon…
-Exactement. Tu comprends, à travers le dieu de nos trois petits cochons -Abraham, Jésus et Mahomet- parce que c’est le même, à une fréquence d’apparition sur nos écrans d’exactement six siècles – j’insiste bien là-dessus également – mon aïeul, lui, il avait un contentieux à régler avec les Jésuites. Tout gamin, issu d’un milieu plus que défavorisé et démontrant néanmoins un goût et une aptitude prononcés pour les matières enseignées à l’école de son village, il s’était vu proposer par ces braves gens un deal fort habituel à l’époque : « on t’apprend la grammaire et le calcul mental et, en retour, tu te fais curé ».
-Aujourd’hui on dit « win win »…
-Sauf qu’il avait réussi in-extremis à s’éclipser du séminaire avant de se faire ensoutaner à perpète ! Cela dit, ses relations avec ses mentors n’avaient pas dû être au beau fixe tous les jours et, à quatre-vingts balais le répertoire sado-maso des hommes en noir lui restait toujours en travers de la gorge. Au point qu’il parlait souvent d’écrire quelque chose à ce propos. Hélas, il est mort avant d’avoir pu mettre son projet à exécution.
-Alors tu t’es dit que tu pourrais peut-être lui servir d’exécuteur testamentaire…
-Genre… Une façon comme une autre de lui renvoyer l’ascenseur, rapport au patin à roulettes. Sauf que perso, n’ayant jamais eu à subir dans ma chair les pratiques lobotomisantes des allumés du crucifix, j’avoue que la lecture des sanguinoleries incestueuses, scrupuleusement décalquées sur des albums de mickeys plus anciens, égyptiens pour la plupart, et plaisamment compilées par les managing partners juifs des origines dans un recueil appelé Torah, transcrit de l’hébreu en grec pour donner le Pentateuque puis du grec en latin sous l’appellation plus ou moins contrôlée d’ « Ancien Testament », m’a, du moins au début, surtout fait l’effet d’un puissant somnifère. Sinon d’une farce de mauvais goût : Noé à poil sous sa tente en train de passer sa crise de délirium sur son pauvre fiston venu à la rescousse, avant de se venger bassement sur lui et sa descendance d’une gueule de bois pourtant amplement justifiée, fallait y penser ! Ou papa Loth en train de grimper ses fifilles à lui histoire de sauver une branche ou deux d’un arbre généalogique menacé par la sécheresse !
-On dirait du Jerry Bruckheimer !
-Ou du Donald Bellisario !
-Ou du Dick Wolf !
-Ah ça ! Ca m’a coûté cher en caféine. Mais ma persévérance a fini par payer. A la deux ou troisième relecture de la Genèse, j’ai fini par comprendre que, à travers l’espèce de polar bien crade qui avait heurté la sensibilité de mon grand-père comme celle de millions d’autres personnes avant lui mais à qui on avait interdit de le crier sur les toits, se profilaient les règles d’un jeu de société parfaitement huilé, directement inspiré du règne animal.
-C’est sûr que pour sacraliser le principe de domination des uns sur les autres, y avait pas besoin de se rancarder auprès des bâtisseurs de pyramides…
-Ni auprès des instigateurs de quelque superstition que ce fût ayant précédé le délire juif et les deux adaptations ad hoc qui lui ont emboîté le pas. Je l’ai déjà dit, toute croyance religieuse – mais je préfère dire “superstition”, question d’acuité étymologique – est, par essence, une catastrophe humanitaire aboutissant d’une façon ou d’une autre au gommage du moindre détail susceptible de nous différencier des espèces animales les moins recommandables.
-C’est sûr que le sens de la solidarité est nettement plus affirmé chez les abeilles…
-Ou les termites, dont les activités se rapprochent plus des nôtres…
-Bon mais puisqu’il n’y a pas une superstition qui vaille mieux qu’une autre, pourquoi s’en prendre aux Juchrémans ?
-Tout bonnement parce que, non seulement le devoir de domination du « peuple élu » sur l’ « étranger » se trouve clairement affirmé par leur dieu créateur supposé mais, en prime et c’est ce qui fait toute la différence avec les autres mickeys , cet espèce de François Langlet céleste leur donne la recette pour parvenir à la dite domination. Une recette résolument moderne, non exclusivement basée sur les cassages de gueule et autres génocides de rigueur chez tout superstitieux soucieux de bien faire. Selon l’Eternel Yavallah, un étranger mort est un étranger qui ne rapporte plus. Alors qu’un étranger à qui on prête des sous…
-Et Dieu créa la dette !
-Balèze, non ? Et tellement d’actualité ! A la différence de tous les autres escrocs, issus de cultures qui ne se gênent pas pour se livrer à la même arnaque, le Juchréman moyen la revendique comme sacrée ! Inventée par le Grand Barbu soi-même tel que cité par Moïse (Deutéronome 15.6) ! Dès lors, si tu oses penser qu’à quelqu’un qui te dépanne d’un euro tu ne dois rendre qu’un euro, t’es rien qu’un chien d’infidèle ! Autrement dit, un bon juchréman (avec une restriction pour les musulmans qui se démerdent autrement pour arriver au même résultat) doit admettre que l’argent s’achète, comme un kilo de farine ou une douzaine d’œufs.
-Et, si j’ai bien compris, que son prix d’achat dépend de l’ADN de l’acheteur ?
-Exact. « Tu presseras l’étranger mais tu ne presseras pas ton frère. » ! Pour les cousins faut voir…