Noël et tout ça

Alors les Juchréman(e)s ? C’est le grand soir, ce soir ! Des foies cirrhotiques comme s’il en pleuvait ! Caviar chinois à volonté ! Saumon frais pêché dans son bassin d’élevage surpeuplé pire que les prisons phroncées ! Barbaque ultra sophistiquée en direct de la Shoah des Animaux quotidienne, laïque et obligatoire. Allez une pensée émue pour les infortunées créatures que la dermatose nodulaire aura privé du bonheur de finir dépecées dans nos assiettes après un chouette stage dans les camps de la mort offert par leurs nourrisseurs qui les aiment tant. Bon tout ça pour vous souhaiter un Joyeux Noël et tout ça et un lendemain qui chante autre chose que le grand air du Vomito Sacré en tête-à-tête amoureux avec la cuvette des chiottes.

Mon cadeau ? Un maxi extrait de B. comme Bongarçon. Là aussi ça se passe aux environs de Nono↓

Comme le nom le suggérait, Montgentil, bourgade de 5000 âmes, chevauchait un mamelon timide et flasque, duquel les constructions nouvelles dégoulinaient jusqu’à la bretelle de l’autoroute. La nuit était déjà bien installée et les volets des habitations prudemment verrouillés. Les essuie-glaces de l’Audi flemmardaient en vitesse minimum. B. suivit la rue principale jusqu’au centre-ville, dépassant quelques piétons recrachés par le RER, étonnamment pressés de regagner leurs biotopes merdiques, leur biocénose ingrate. Sur le parking de la gare, il réussit à s’imiscer entre deux tilleuls dont les racines exsangues crevaient le bitume dans leur quête d’un petit coup à boire. À sa descente de voiture, le crachin polaire ne lui donna pas envie de s’attarder devant les quelques devantures de commerces encore éclairées. Le salon de coiffure « Évolu’ Tif » jetait l’éponge pour aujourd’hui. La shampouineuse chargée de baisser le rideau lui adressa un sourire compatissant. Il le lui rendit avec la même sincérité et fit route vers L’Arrivée, un bar-tabac-PMU où la vie du bled semblait s’être réfugiée. À travers le chariot céleste chargé de paquets enrubannés et ses rennes mutants qui occultaient la vitre, Brieuc distingua un zinc auquel quelques assoiffés s’accrochaient encore. Il poussa la porte.

– ‘Soir ! Pas chaud, hein ? » Le patron avait de la conversation, c’était bon signe.

– Comme vous dites. En même temps, on va pas se plaindre que l’hiver commence à ressembler à un hiver. La flotte, ça va bien un moment…» L’étranger, lui aussi, connaissait son répertoire de bistrot.

Le petit vieux à casquette hocha la tête en connaisseur et s’écarta pour lui faire une place à l’abreuvoir : « Quand je pense que dans le temps à Montgentil, à Noël on avait presque toujours de la neige. Je me souviens, on allait faire de la luge derrière l’église, du côté où ça descend bien raide. Tu vois où je veux dire, Jean-François ?

– Très bien. Même qu’ arrivé en bas, d’un seul coup ça devient tout plat. Sinon, ils auraient pas pu construire le terrain de foot. Qu’est-ce que je vous sers, m’sieur ?

– Un grand chocolat, s’il vous plaît.

La commande sembla décevoir le petit vieux. Il regarda pensivement son ballon de beaujo presque vide. « Tiens et quand t’auras servi le monsieur, moi tu me remettras la même chose, Jean-François. Chacun sa technique de chauffe, ha ha !

– Haha ! » admit l’étranger, «…C’est pas que j’aie fait vœu d’abstinence mais boire ou conduire, comme ils disent à la télé… Trois points, c’est vite perdu, par les temps qui courent. » La bonne humeur de Bongarçon était à peine feinte. De lui-même, le loufiat avait abordé le sujet qui l’amenait dans le coin. Y avait plus qu’à rebondir : « Le terrain de foot ? Marrant, j’allais justement vous demander comment on va au stade « Joseph Ujlaki », en voiture.

– Rien de plus simple. Comme dit monsieur Raymond, suffit de prendre à droite après la basilique, là-haut… Et d’avoir de bons freins ! Mais, ce soir, à mon avis, y a pas d’entraînement.

– La « trêve des confiseurs » qu’ils appellent ça, à la télé ! La trêve des branleurs, oui ! » Le somnolent du bout du zinc reprenait du service, « …Quand tu vois ce qu’ils se mettent dans les fouilles, ces tarlouzes ! N’importe qui peut enfiler un short trop grand, se teindre en blond platine et crier au viol dès qu’il perd le ballon ! Combien il ramasse le Neymar, déjà ? Quelque chose comme trois patates par mois, je crois bien ! Sans les primes ! …Sans les primes, t’imagines !!!

– Calme ta joie, Seb ! Le jour où Gilles-William tournera à trois briques…

– Manquerait plus que ça ! Il a encore pas trop fait d’ étincelles, hier, l’avant-centre de l’AS ! …À ce qu’on m’a raconté parce que moi j’y vais plus, au match. Je préfère autant rester au chaud devant ma télé.

– Oui eh bien moi j’y étais, hier ! Et j’ai pas regretté ! » Le gazier au look « clerc de notaire en pré-retraite » qui jusqu’alors n’avait pas levé les lunettes de son Tiercé Magazine venait de faire entendre sa voix de crécelle. B. dressa l’oreille.

-…Non pas que le match en lui-même ait valu le déplacement. À mon avis, tant qu’on aura pas changé d’entraîneur mais ça c’est mon avis… Bref, on s’était  fait surclasser bien comme il faut pendant toute la partie et Marches-Brazay allait ramasser ses trois points tranquillou quand le petit niakoué qui joue à l’aile droite chez nous, comment il s’appelle déjà…

– Joseph ? Il est pas vietnamien, il est de la Guadeloupe, je crois bien. Ou de la Réunion, je sais plus… », intervient le petit vieux  à casquette .

– J’ai jamais dit qu’il était vietnamien !

– Ah je regrette ! T’as dit « le niakoué ». À l’origine, les niakoués c’est des jaunes ! Si t’avais fait l’Indochine, tu le saurais ! Pas vrai Jean-François ?

Pris de court, le patron se masse le menton, embarrassé pour répondre. « Bah, niakoué, bougnoule, mal blanchi, on se comprend. Français d’adoption, quoi…» Il gratifie l’étranger d’un sourire mi-figue, mi-raisin. Il ne tient pas à perdre un client connement, en passant pour le gros raciste qu’il est. « …Vas-y, Christophe continue ! Elle est marrante ton histoire. J’aime bien comment tu racontes.

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