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« MARS 2221, roman » (chap 40 : « L’amiral »)

Les yeux du morveux s’accrochaient désespérément au prompteur dans un karaoké de la mort-qui-tue. « Les autres ont touzours tort… moi z’ai touzours raison… zeux zolympiques… vive la raie, vive la Phronce, toussa… » Mais là, au fond de son cœur de midinette il ne pensait qu’à ce grand garçon à la blonde chevelure qui, un jour, lui avait pris la main et entraîné sur le dancefloor… Donald avait promis d’être là samedi pour le bal de réouverture de Notre Dame de Paris Truqués… Il enverrait Brizitte lui chercher un verre d’orangeade et, enfin seuls tous les deux, ils pourraient… Ils pourraient…

 

Mars, Nouvelle Lutèce, deux siècles plus tard…

  1. L’amiral

Mustalpha nous propose de le suivre. Nous arpentons avec lui l’étroit ponton. De chaque côté sont amarrés différents types d’embarcations légères. Des canots pareils au nôtre, des pirogues, des canoés-kayaks mais aussi des barques plus spacieuses, de petits dériveurs dont la voile frémit sous la brise légère (du vent dans les profondeurs martiennes ? ) et même un pédalo ! Devant mon intérêt affiché pour cet esquif minimaliste, indissociable de grandioses étés d’enfance à la mer, Mustalpha fait amende honorable.

– Mon équipementier a insisté pour que j’en prenne un à l’essai. Honnêtement je n’étais pas emballé par la photo du catalogue mais le succès qu’il rencontre auprès de la clientèle va m’amener à en commander une flottille !

Nous gagnons la tonnelle de l’établissement. Malgré la nuit approchante, quelques plaisanciers s’attardent encore devant leurs boissons rafraichissantes. Mustalpha marque une pause devant la table d’un couple entre deux âges.

– Maîtresse Lawü et son époux sont ici depuis une semaine. À ce jour ils n’ont pas manqué un seul coucher de soleil sur le lac.

Maîtresse Lawü confirme.

– Comment se lasser du spectacle ? Ce camaïeu de mauve, ces nuances orangées…

J’admets que dans la catégorie « biotopes intelligents », le ludomaine de Skomäth-Hellian pète les scores ! Recréer un ciel aussi céleste, un soleil aussi solaire ! Relayé sous peu par un clair de lunes si parfaitement lunaires dans leur écrin d’étoiles naissantes… Le tout à cinquante bornes à l’intérieur de la croûte martienne… Remettez-moi deux ronds de flan, la patronne !

Mustalpha nous introduit.

– Voici Anthéa et Lapsonami. C’est leur première visite à Skomäth-Hellian.

Maîtresse Lawü s’emballe.

– Du sang neuf ! Nous sommes descendus au Corona Borealis, n’hésitez pas à passer nous faire un coucou. Les cocktails n’y sont pas aussi sublimes que ceux de l’Aquadrome mais…

– Maîtresse Lawü est trop indulgente !

Un dernier rond de jambe et Mustalpha nous pousse en douceur vers l’intérieur de sa guinguette au bord de l’eau. La verrière coulissante ouvre sur une vaste salle. D’un mur à l’autre court un zinc en coquillages avec des dizaines de boutanches alignées derrière. Partout des posters à dominante aquatique et des filets de pêcheurs incrustés d’étoiles de mer. Mustalpha a pensé aux jeunes. Un jukebox, deux flippers et, je vous le donne en mille, là-bas au fond…

– Un BONZINI !!!

À l’intention des incultes, « Bonzini » c’est la Lamborghini des babyfoots. Mais attention, on est quelques puristes à exiger… D’ici je vois pas. Je tends le cou… Mustalpha sourit.

– Soyez sans crainte. Ce sont bien des poignées rondes ! Une partie ?

– Carrément ! », approuve Anthéa.

Quand nos destins se sont croisés, Anthéa ne connaissait du baby que ce qu’elle en avait lu dans « Hippocampe Twist » Ça lui avait suffi pour craquer. Problème, y avait pas de baby à la Résidence. Pas grave, sur mes indications pourtant approximatives, elle te nous avait bricolé un Bonzini plus Bonzini que l’original. Dès les premières parties elle s’était révélée une babyfooteuse hors pair.

– Amiral ! J’ai ici deux passionnés de football de table qui ne demandent qu’à vous faire prendre du retard dans votre vaisselle !

 

…la suite demain…

« MARS 2221 » (chap 39 : « Actualisation environnementale », suite et fin)

J’adopte à l’unanimité une motion de censure touchant aux agissements du cartel de l’édition phronçaise et de sa cour de détaillants en banalités imprimées reprises si invendues, qui doivent absolument s’essuyer les yeux et cesser de confondre livres d’auteurs et livres de comptes.

résumé : l’AEP ?

– *L’Actualisation Environnementale Personnalisée. À quelques exceptions près – folklore local oblige – les membres du personnel en activité sur le biotope y sont soumis. Mustalpha correspond à vos références mnémoniques en matière de « loup de mer » soft, limite « marin d’eau douce », je me trompe ? *

Nan, elle se trompe pas la Croupière Générale ! Le keum qui manipule la radiocommande depuis le ponton en vue d’un accostage en douceur est un mix savant entre l’Homme du Picardie et sa péniche aventureuse, bourru jusqu’à foutre un peu les foies à un gamin vautré sur le tapis du salon devant la télé noire et blanche, et le capitaine Troy qui avait et de loin la préférence de ma reum.

– Impressionnant ! Sinon quelqu’un aurait aperçu mes béquilles ? Sans elles je vais jamais réussir à débarquer…

– * Lapin ! Comment pouvez-vous croire une seconde que les Instances du Vacuum se satisferaient d’actualiser un résident atteint d’une infirmité non génétique sans l’en guérir illico presto ? *

Je regarde ma jambe. Le plâtre a disparu. Ma cheville répond sans problème.

– Ouah ! Ça c’est de la médecine ambulatoire ! À propos, ça me gêne pas que vous m’appeliez « Lapin » sauf qu’en fait – « factuellement » comme les pipelettes franceculturistes aimaient à se la raconter – c’est pas mon vrai nom.

– * Qu’à cela ne tienne. Quel est votre vrai nom ? *

– Ladies first !

S’échappant du sourire Colgate d’Armand Troy, la voix rugueuse de l’Homme du Picardie couvre ma réponse. Mustalpha hisse Anthéa sur le ponton et tend la main pour renouveler l’opération avec moi. Puis il s’apprête à descendre dans le canot récupérer la Croupière qui l’en dissuade.

– *Ne vous donnez pas cette peine, cher ami, je ne fais que passer. Planning chargé aujourd’hui !*

S’adressant à nous en aparté :

– Le silence inexpliqué du gardien de la mine a dû alerter ses employeurs. Quelques taquineries aux fins limiers de la Sécurité Martienne devraient les convaincre de classer l’affaire…

Retour au capitaine Troy :

– *Ensuite cap sur Bellérophon ! On m’a signalé une suspicion de délit d’initié au casino central. Bellérophon, ce n’est pas loin de chez vous, Mustalpha ? *

Quelques années lumières tout de même, madame la Croupière Générale. Cependant il est vrai que mon épouse et moi formons le projet de fêter nos noces d’argent sur Bellérophon.

Mustalpha utilise ses cordes vocales pour communiquer. Merci l’AEP. La télépathie, ça va un moment mais ça manque de chaleur, je trouve.

– *Vos noces d’argent ! Quel âge avez-vous donc, Mustalpha ? Non ne répondez pas, cela m’obligerait à penser au mien. Donc je compte sur vous pour faire les honneurs de Skomäth-Hellian à Anthéa et Lap… son ami ! Amusez-vous bien tous les trois ! *

Sur ces bonnes paroles la tronche de flageolet disparaît sous sa carapace. Qui se met à tournoyer de plus en plus vite jusqu’à disparition complète.

Avec Anthéa on en reste comme deux ronds de flan (quatre en tout). Mustalpha rigole.

– Une nature, la Croupière Générale, pas vrai ?

Anthéa :

– Je cherchais le mot.

 

…demain chap 40 : « L’amiral »…

« MARS 2221, roman » (chap 39 : « Actualisation environnementale »)

 

 

  1. Actualisation environnementale

–  Qu’est-ce qui s’est passé ? Où on est ?

– *Dans un canot. Un canot de randonnée.*

Et cette purée de pois là, d’où elle sort ?

Ayant décollé les paupières à mon tour, je partage l’étonnement d’Anthéa. C’est à peine si je distingue ses fesses idéales posées sur le banc de nage. La Croupière Générale nous briefe depuis le pontet dans mon dos.

* Un halo de brume quantique. Résultante pseudo physique de la manifestation éphémère d’un couloir de TransVac. Dont le terminal est ce canot, instantanément conçu en fonction de notre réajustement spatiotemporel. Ne me dites pas qu’une soucoupe volante aurait mieux correspondu à vos attentes ?*

La Croupière se fait plaisir. Comment lui en tenir rigueur ?

– *…Une soucoupe flottante tant qu’on y est ! Nous soumettrons l’idée à Mustalpha. Il me semble l’apercevoir là-bas sur l’embarcadère.*  

La brume se dissipe peu à peu. On barbote sur une sorte de lagon d’un bleu-vert transparent. Escorté par un banc de poissons multicolores, le canot dérive au fil du courant. Un courant paisible qui nous pousse vers une construction élégante, montée sur pilotis. À l’entrée se tient un grand type arborant une casquette d’officier de marine. Il se fend d’un large signe de la main avant d’avancer sur le ponton à notre rencontre.

Je m’étonne discrètement auprès de la tortue.

– Je croyais que les bipèdes à poil ras étaient interdits de séjour dans le coin ? Un homoncule ?

– * Mustalpha nous vient tout droit des Marécages de Gloo, système de Markab, l’étoile la plus brillante de Pegasus. Mustalpha est un Amphibien pur jus ! Affable, aux petits soins avec la clientèle, le directoire du ludomaine se félicite chaque jour de lui avoir confié les rênes de l’Aquadrome…*

Un amphibien ? Mais…

– *Mais où sont ses nageoires, ses écailles, ses branchies ? Oh rassurez-vous, elles sont bien présentes. Et plus qu’utiles pour porter secours à l’éventuel baigneur pris de malaise ou au canoteur en perdition. Vous ne pouvez pas les voir, c’est tout ! Apprenez, Lapin…*

Je voulais vous dire… Je m’appelle pas Lap…

– * …Que le ludomaine de Skomäth-Hellian est un biotope « intelligent ». Conçu afin que le résident s’y sente « comme chez lui », quelle que soit son monde d’origine. À la nanoseconde où son cercle d’appel parvient aux Instances du Vacuum, une analyse complète de ses données physicochimiques est diligentée. Les résultats de l’analyse déterminent les algorithmes de son actualisation au sein du biotope. Durant l’entièreté de son séjour, il évoluera dans un environnement qui, sans remettre en cause son référentiel psychophysique initial, saura lui offrir ce que nous pourrions définir comme un exotisme « sur mesure ».*

 Nous c’est Bora Bora, ses lagons turquoise, ses poissons arc-en-ciel…

– *…Bora Bora et Mustalpha ! Si ce dernier vous apparaît sous l’enveloppe d’un « bipède à poil ras », comme vous dites, c’est que les composés évoluant sur le ludomaine se présentent les uns aux autres sous des angles culturels, linguistiques ou physiques en parfaite adéquation avec les leurs. L’AEP y veille en permanence.*

– L’AEP ?

 

la suite demain…

« Mars 2221, roman (chap 38 : « La clé », suite et fin)

Vous voulez que je vous dise ? Le bipède moyen m’a l’air génétiquement coincé entre entre l’infini et le pas fini. Jusqu’ici le pas fini tient la corde. Et pour un paquet d’années-lumière j’ai l’impression.

résumé : lapin doit se servir du badge et il est bien embêté…

Je m’exécute perplexe.

*Non seulement cette innocente languette de cristal est conçue pour guider son possesseur jusqu’au ludomaine auquel elle est connectée mais elle est la clé du terminal permettant d’en franchir le seuil. Pour utiliser cette clé son possesseur se contentera de lui faire décrire un cercle parfait. *

– Comme ça, à main levée ?

Nouveau secouage de tête désabusé de la Croupière.

– * La clé vous y aidera ! Quand bien même sur Terra-la-Honte le calcul d’un objet mathématique, aussi anodin partout ailleurs dans l’univers, serait tributaire d’un nombre « irrationnel ». Grand Pierrot ! 2300 ans après ce besogneux d’Archimède les savants terreux en sont toujours à définir le périmètre d’un cercle comme « la limite d’un polygone régulier lorsque le nombre de ses côtés tend vers l’infini » ! Je me demande ce qu’ils en connaissent de l’infini, ces mathématiciens d’opérette pour le mettre ainsi à toutes les sauces !*

Et pas que les mathématiciens ! Me reviennent en mémoire les implants capillaires absurdes d’un animateur Radio-Télé-Luxembourgeois des temps pré nucléaires. Yves Je-ne-sais-quoi remerciait toujours infiniment son « invité » d’avoir gavé tout le monde avec ses salades foireuses.

– *C’est quand vous voulez, Lapin ! Allons, oubliez votre « Pi » égal à 3,141592653589793238462643383279 et quelques trillions de trillions de quadrilliards de décimales ! D’un geste ample et gracieux, dans le sens des aiguilles d’une montre, tâchez d’imprimer à votre badge l’amorce d’un tracé circulaire…*

Ok mais sachez que je m’appelle pas Lap…

À peine j’ai commencé à m’exécuter que la lamelle de jarosite prend le relais comme qui dirait. Je la sens guider mon bras dans le traçage d’une circonférence impeccable, propre à faire ruisseler la petite culotte de Mme Dupouy (lire vous savez quoi). Un cercle allant s’élargissant… S’élargissant… Un cercle parfaitement parfait dont l’éclat incandescent nous oblige Anthéa et moi, à fermer les yeux.

 

…demain chap 39 : « Actualisation environnementale »…

« MARS 2221, roman » (chap 38 : « La clé »)

Je continuerais bien à prier Notre Dame de Paris Truqués pour que le gros con de chasseur d’en face qui a fait gueuler ses clebs tout le weekend se prenne une cartouche perdue dans sa cage à bière, pour que les mangeurs de saucisson que c’est tellement bon à l’apéro glissent sur une rondelle rebelle et se retrouvent pendus par les pieds et égorgés juste pour voir comment c’est tellement moins bon, pour que les agresseurs de leurs têtes blondes ou/et de leurs mères se prennent les couilles dans leur scie sauteuse que c’est chacun son tour, je continuerais bien à prier Notre Dame de Paris Truqués pour que ce monde dégueulasse soit rien qu’un cauchemar inventé par une IA psychopathe mais prier c’est rien à côté de relire « MARS 2221, roman ». Comme qui dirait un vermirefuge. Une cuillerée tous les matins et la forme revient. ‘tain, déjà le chap 38 !

  1. La clé

 – * Les « ondes gravitationnelles », comme on les appelle chez vous* », s’excuse la Croupière Générale en repassant enfin le museau hors de son abat-jour en kératine, « *…Par leur nature même elles sont susceptibles de perturber la liaison avec les Pierrots.*

Anthéa fait sa curieuse.

– Ce serait indiscret de vous demander qui sont ces « Pierrots » dont vous parlez sans arrêt?

– *De l’ordre de la colle, vous voulez dire. J’imagine que les Pierrots eux-mêmes seraient en peine de vous répondre avec exactitude. Selon le référentiel psycholinguistique terreux – encore une fois particulièrement approximatif et lacunaire – je suppose que l’appellation « Big Bangers » rendrait compte de leur nature à la fois soudaine – « out of the blue » diraient les Anglais – et… hem… ineffable. En tous cas sans les Pierrots point de salut ! Dans un environnement que vos « astrophysiciens » (ricanement télépathique) « s’accordent à décrire comme essentiellement composé de vide, les Pierrots garantissent l’intégrité spatiotemporelle des 5 % de matière solide restants. Dont les composés. Savoir vous, moi et les milliards de milliards de formes évoluant avec plus ou moins de grâce dans l’univers visible et invisible. Maintenant à mon tour de vous poser la question qui tue : « Stop ou encore ? » Comme on disait dans un jeu au moins aussi niais que le shifumi, à la fin de votre 20ème siècle.*

– Stop ou encore quoi ?

– *Je résume. Que des composés en provenance de Terra se trouvent en possession d’un authentique badge d’accréditation ludomanial ne laisse pas d’étonner en haut lieu. Toutefois – je cite – « Le Bureau Exécutif ayant pris note de l’immunité de fait dont lesdits composés font montre en réponse à ses taquineries et, conséquemment, de leur non-appartenance implicite à l’espèce terreuse, il autorise la Croupière Générale de la Spirale W1745 et ses clusters satellites à leur accorder, à titre exceptionnel et non transmissible, l’accès au ludomaine de Skomäth-Hellian. »*

Étirant son cou plissé, la tortue d’Hermann nous fixe de ses yeux inquisiteurs.

– *Encore faut-il que vous soyez intéressés. Je comprendrais parfaitement que, tout comme moi, vous ayez des milliers d’autres choses à faire…* 

Comme retourner aux Jardins bichonner la ganja d’un mafioso caractériel ? En admettant que Cherkaoui m’autorise à reprendre du service ! Pas convaincant comme projet de vie ! Le regard d’Anthéa croise le mien.

– Qu’est-ce que t’en dis, lapin ?

– J’en dis que je pousserais bien jusqu’au ludomaine de madame la Croupière Générale. Sauf que cinquante kilomètres à pied, ça use les béquilles…

– *Il n’est évidemment pas question de marcher jusque là-bas…*

Vous pensez que… 

La caparaçonnée a capté mon coup d’œil sceptique en direction de la galerie n°2.

– *Non, non, rassurez-vous ! Outre son inconfort, nous n’irions pas loin dans cette brouette. J’ai beaucoup mieux comme moyen de transport. Je vais vous demander de sortir le badge de votre poche et de le tendre à bout de bras.*

 

…la suite demain…