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« MARS 2221, roman », texte intégral (chap 2, suite et fin)

On peut être et pas avoir été. C’est selon.

résumé : le chirurgien Poutine vient de réveiller le narrateur. Qu’il soumet à une petite gymnastique d’échauffement…

 

– Je constate avec plaisir que votre sens de l’humour n’a pas souffert du transfert. Bien. Le gauche maintenant. Parfait. Tournez la tête, voulez-vous ? Vers la droite… Lentement… Vers la gauche… Excellent. Pas de sensation de vertige ?

– Pas la moindre.

Legrand aurait été bien en peine de me demander de me livrer à ces exercices !

– Marinella, soyez gentille de nous trouver un miroir. J’aimerais avoir l’avis du Maître sur son visage tout neuf.

Marinella était allée fouiller dans sa trousse de maquillage. Poutine m’avait carré le petit rectangle réfléchissant sous le menton.

Paris 1981, du côté des Champs Élysées, direction artistique RCA Victor, bureau de Bob Socquet. Mon éditeur, Christian de Ronceray, pote de Bob, lui a soutiré un contrat de licence inespéré pour mézigue. On a fait la balade à pied depuis la rue Marbeuf qui, en attendant sa une au journal de 20 heures l’année suivante – attentat à la bombe, un mort et une soixantaine de blessés – se contente pour l’instant d’abriter le siège de You You Music. Il s’agit de régler les ultimes détails de la sortie imminente de mon squeud.

J’ai ramé pour en arriver là ! Une après-midi entière à squatter le téléphone de mes darons (à Janville on l’a pas, le téléphone). Des dizaines et des dizaines d’appels à tout ce qui touche de près ou de loin à l’industrie du disque parisienne. Râteau sur râteau, joint sur joint pour pas craquer et vers le soir le miracle s’était produit.

– Franchement, sur la tête de Bernard Hinault et la prostate de François Mitterrand ou le contraire, c’est le meilleur morceau que vous ayez jamais entendu de toute votre vie sédentaire et trop souvent ingrate, Monsieur le Directeur. Un tube pareil, ma parole vous allez pas…

– Arrête ton cirque et passe me faire écouter.

Un mec bien, Christian de Ronceray. Sa dernière réussite en date c’est Michel Jonasz, « Les vacances au bord de la mer ». Quand j’avais débarqué, le contrat traînait encore sur le bureau de Nicole, la secrétaire toujours souriante. La signature de Jonasz on aurait dit un caca de mouche constipée. Ma maquette avait plu à Christian. Il m’avait branché sur le petit studio 12 pistes qui lui fait des prix d’amis. « Laguna ». L’ingé son c‘est Alain Pype, son boxer mutant c’est Kaya. Deux nuits de dur labeur – Kurt à la roulite aigüe, Pype au ferroviaire revigorant savamment dosé – et les productions « Chère Crainte » étaient fières d’annoncer la naissance de « Titanic », LE 45t ! Restait à concocter une pochette. Que je dépose délicatement sur le bureau de Bob Socquet.

Quand on est entré, Bob était en conversation avec Alain Souchon. Bob a fait les présentations. Plutôt sympa, Souchon. Pas bêcheur, à la nouvelle que je file des cours de piano, il m’a demandé de sa voix de colvert enrhumé au sortir d’une cartouche dans le cul si je voulais pas lui en donner.

– Cin me ferint pas de minl, hein Bamb ?

Bamb, ses paupières on dirait des papillons de nuit pris dans les phares d’un tracteur.

– Elle fait mal aux yeux ta pochette.

Faut dire, avec Denis, graphiste d’art égaré dans la réclame, on avait mis le paquet. Une pluie battante de « TITANIC…DES HEURES…TITANIC…DES HEURES… » grise sur fond noir avec, perdu dans les zébrures, un carré photomaton de ma tronche… Celle-là même qui venait de m’apparaître dans le mini miroir du chirurgien Poutine.

– Tout va bien Maître ? Marinella, un grand verre d’eau s’il vous plaît !

– Q…Quelque chose de plus c…costaud si vous avez.

Du vieux fripé de ma carte d’identité de 2025 au beau gosse sur le perron de l’Élysée cinquante ans plus tard, en passant par l’espèce de momie soufflant ses 120 bougies en première page du New York Times, les clichés de moi que Legrand m’avait montrés dataient d’une période effacée de ma mémoire. D’où mon manque d’intérêt. Alors que là ! Me revoir à 28 balais, comme ça, sans préavis…

 

la suite demain…

 

 

 

« MARS 2221, roman », texte intégral (chap 2)

D’accord, la bonne littérature c’est pas fait que pour rigoler mais un peu quand même.

 

  1. La Résidence

 

 Anthéa et moi on se connaît du dôme de la Résidence. On s’est fait la malle de ce repaire de dingos ensemble.

La Résidence est une clinique privée sur Terra. Devenue, au fil du temps, une cité autonome dont l’économie florissante repose officiellement sur des activités hospitalo-universitaires. Une façon comme une autre d’échapper à l’impôt. Comparé à des institutions quasi médiévales comme l’Hôtel-Dieu ou la Pitié Salpêtrière, la Résidence pourrait passer pour récente mais ça fait quand même pas loin de deux siècles que la médecine y progresse à pas de géant. À l’entrée, perché sur un genre d’obélisque, façon le génie de la Bastille en un peu moins haut, le buste du professeur Jean-Louis Marcel (2007-2077), père fondateur de la clinique. Comme m’avait expliqué cette vérole de Legrand, le professeur Marcel porte sa part de responsabilité dans quantité d’aléas, revers et incidents de parcours ayant failli avoir raison de mon intégrité physique et mentale. D’un autre côté, force est d’admettre que le dernier en date (le crash du dirigeable) m’eût été fatal sans le « projet » par lui mis en place pour rattraper le coup. C’est juste qu’il se montrait singulièrement optimiste quant aux délais nécessaires à son aboutissement, le bon professeur Marcel. Quand j’avais émergé d’un de ces mini comas réparateurs engendrés conjointement par le baratin soporifique de Legrand et les injections de son infirmière-chef, la poitrine généreuse qui me balayait le museau n’était plus celle de Mathilde Pelletier.

– Professeur, je crois qu’il se réveille.

Professeur ? Legrand avait pris du galon ? Il devait bicher. Il allait pouvoir se payer une nouvelle virée au Machu Picchu avec Minerva et sa « distinction » légendaire ! Mais attends… Il était cané Daktari !!! Son joli trou au milieu du front je l’avais pas rêvé ! La vengeance de « Robert » ! Qu’est-ce qu…

– Bonjour Maître. Comment vous sentez-vous ce matin ?

Le monsieur que la paire de flotteurs avaient appelé « professeur » se penchait à son tour sur mon cas. C’était pas Legrand.

– Je suis le chirurgien Poutine. En mon nom personnel et celui du Conseil d’Administration de la Résidence, laissez-moi vous souhaiter un heureux retour à la conscience. Mon bonheur est immense de constater que les efforts inlassables de plusieurs générations de chercheurs n’ont pas été vains. Le professeur Marcel était décidément un grand visionnaire. Son Projet s’avère une réussite absolue. Qu’à notre immense fierté, il nous ait été octroyé le privilège d’y apporter la touche finale, mes assistants et moi-même n’en concevons que peu de mérite. En fait il suffisait d’attendre que mécanique fractale et nano informatique atteignent l’excellence nécessaire à la cartographie d’un cerveau humain pour entamer le processus de duplication de votre support physique…

– Poutine ? Comme le dictateur russe ? Le pote de Bachar-le-Sanglant ? Le compagnon de route des ayatollahs déjantés ? L’apôtre des colonies pénitentiaires, de la chasse aux tchétchènes « jusque sur leur chiottes », le chantre de la persécution des LGBT, le pourfendeur de l’homoparentalité et  tout ça ?

– Comme le dictateur. Mais rassurez-vous, en huit ou neuf générations le gène de l’autoritarisme consubstantiel à Deduchka Vlad a eu tout le temps d’évacuer mon ADN. C’est dénué de toute intention nuisible à votre statut d’homme libre que je vais vous demander de lever le bras droit…

– No problemo. Je jure de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Miss Roploplos s’était bidonnée.

 

la suite завтра…


Demandez « MARS 2221, roman » !

Grâce à « Mars 2221, roman » j’ai appris ce qu’était l’ « impression à la demande ».  Et dans la foulée ce qu’était un libraire indépendant. Ça valait le coup d’en faire une tribune. Sur Médiapart  ils ont un club. Un club avec des blogs. Le portier du club, très sympa, l’a trouvée « originale et intéressante », ma tribune. Il m’a offert son parrainage. Qui m’a permis de la publier sans avoir à m’abonner. Total, si vous passez par les blogs du Club Médiapart, la lecture de https://blogs.mediapart.fr/franckrichard907/blog/050624/impression-la-demande-librairie-independante-ecologie-et-litterature

…c’est gratos. Juste faut être abonné pour lâcher son like ou son commentaire. On va dire que c’est de bonne guerre, Edwy 😉

Sauf que feignants comme vous êtes, Médiapart ça fait loin pour vos petites jambes, pas vrai ? Alors ok, la v’là ma tribune, avec des images en + !

« Impression à la demande, librairie indépendante, écologie et littérature »

– Combien d’arbres pour fabriquer une tonne de papier ? (réponse : 17 )1

– Quantité d’eau nécessaire à la production d’un livre de 300 g ? (réponse : 150 litres)2

Le genre de questions qu’on oublie de se poser les weekends où il pleut, si un bon bouquin peut aider à rattraper le coup.

Le genre de question qu’on se pose encore plus rarement quand on se balade entre les tables de notre librairie indépendante préférée. Qu’on se demande dans quelle pile d’exemplaires du même roman on va taper aujourd’hui. Qu’on se dit « tiens ? celle-ci n’a pas beaucoup diminué depuis la semaine dernière… par contre, celle qui traînait là-bas depuis un bail a disparu d’un coup d’un seul ! »

 

Et puis un jour on se retrouve indépendant comme son libraire mais dans la catégorie « auteur ». Savoir, on doit à la fois écrire et rendre son écriture visible. Un peu comme une vache qui devrait embouteiller son lait, l’étiqueter et croiser les sabots pour qu’un épicier le trouve à son goût au point de lui faire une petite place sur l’étagère.

Notons qu’il existe aujourd’hui des « officines » d’aide à l’autoédition. Moyennant un pourcentage sur recette peu ou prou égal à celui prélevé par un éditeur classique, l’officine en question concocte des remèdes aux gaz technico-administratifs qui encombrent le Shakespeare-dans-sa-tête.

Hélas, la plus belle officine d’aide à l’autoédition du monde ne peut donner que ce qu’elle a. Qui s’arrête au pouvoir d’exaucer le rêve ultime de tout Goncourt en puissance : tenir 300 grammes de cellulose cartonnée made in bibi entre ses petites mains nerveuses, tout content de pas avoir dû recourir aux bons et loyaux services d’un éditeur classique (qui l’aurait fait poireauter six mois minimum avant de l’envoyer paître, « politique éditoriale » oblige).

Sauf que – miraculeusement séduit par sa prose – un éditeur classique lui aurait ouvert grand les portes des librairies indépendantes.

Grâce au sésame imparable de la « reprise des invendus ».

 

Parce que la reprise des invendus, son officine d’aide à l’autoédition, au wannabe auteur-à-succès, elle connait pas. C’est pourtant le paramètre qui motive en premier chef tout libraire indépendant soucieux de survivre. Au point de refuser tout net de « travailler »3 un ouvrage qui ne lui est pas adressé par un « vrai éditeur »4.

Pour preuve, des 560 librairies indépendantes à qui j’ai fait parvenir le PDF de mon dernier roman, accompagné de la suggestion d’y jeter un œil et plus si affinités – voire d’en commander un exemplaire à proposer à sa clientèle – j’ai reçu moins d’une dizaine de réponses dont je tiens à remercier les auteurs.  Hélas elles se ressemblent toutes 5 :

« bonjour,

je répnds quaisment toujours par politesse (pour le mal que vous vous êtes donnés)

non aux O…L… on ne prend pas de livre en impression à) la demande, désolée

bon courage »

*

« Bonjour,

Merci de l’intérêt que vous portez à notre librairie mais nous ne travaillons pas avec L… ni avec aucune maison d’édition fonctionnant en impression à la demande.

Nous vous souhaitons le meilleur pour la suite de vos projets.

*

« Je vous remercie pour l’intérêt et la confiance que vous portez au B…, également pour les informations concernant votre livre. Je suis désolée de vous annoncer que nous ne prenons pas d’impression à la demande dans nos rayons. »

*

« M’enfin ! », aurait dit Gaston. Pourquoi tant de haine à l’endroit de l’impression à la demande ?

C’est pourtant une bonne idée, l’IAD ! On dirait que je suis libraire. J’ai des tables, des rayons. Autant d’espaces au sein desquels un seul bouquin peut faire le boulot d’une pile (qui, aussi haute soit-elle, ne révèle que la couverture du volume du haut). Le chaland feuillette. Il aime pas, la question est réglée. Dans le cas contraire il me passe commande. Résultat, je rentre dans mes frais et l’ouvrage de son choix l’attend dans ma librairie sous trois jours, délai quasi amazonien. Les ventes suivantes seront du bénef pur.

Fini les invendus à retourner au « vrai éditeur » du bouquin ! C’est-à-dire 21,1% de mon stock (= 42 200 tonnes annuelles dans l’hexagone)6 voués à la destruction ou, au mieux, recyclés. Sachant qu’en France on manque cruellement de recycleries et que, contrairement au traitement des fibres vierges, le recyclage du papier s’appuie sur une énergie provenant essentiellement de sources fossiles7.

Last but not least, l’IAD me sert sur un plateau l’opportunité de faire jouer à fond mes qualités de libraire indépendant. Flexibilité, ouverture d’esprit, capacité d’adaptation. J’ai choisi ce métier pour promouvoir la littérature quelle que soit sa provenance, n’est-ce pas ? Quant à l’éventualité d’un hiatus entre mes goûts et ceux de ma clientèle, me retrouver avec un bouquin sur les bras n’est pas à proprement parler une catastrophe financière, juste l’opportunité d’enrichir ma bibliothèque perso à prix réduit (autour de 30% selon le distributeur) ! Cela dit, si les officines d’aide à l’autoédition pouvaient carrément m’adresser un exemplaire gratuit de leurs productions je serais pas contre, le format PDF n’étant pas mon préféré pour découvrir un livre.

 

Clairement, l’impression à la demande représente une alternative durable et responsable à l’exposition coûteuse d’empilements stratégico-décoratifs, dont près d’un quart s’en iront nourrir le pilon. Moins d’arbres abattus, moins d’eau gaspillée. L’empreinte carbone de l’industrie du livre en sort gagnante.

Un bienfait en entraînant un autre, l’IAD délivre les libraires de l’obsession vitale de la reprise de leurs invendus. Formulé autrement, elle les amène à ne plus préférer systématiquement « travailler » les livres qui leur sont adressés par les maisons d’édition qui la lui garantissent et, du coup, leur permet d’atteindre à une véritable « indépendance ».

L’impression à la demande, un petit pas pour l’écologie, un bond de géant vers le renouveau de la création littéraire et – dans son sillage – un possible regain d’intérêt du public pour l’univers du livre.

Franck Richard (Hippocampe TwistMars 2221, roman)

Sources :

1  Recylivre.com

2  Recylivre.com

3,4 Les termes entre guillemets sont empruntés au lexique librairien.

5  J’ai respecté l’anonymat de mes correspondants qui reconnaîtront leurs coquilles occasionnelles.

6   Syndicat National de l’Edition

7 https://www.anthropocenemagazine.org/2020/10/paper-recycling-isnt-necessarily-good-for-the-climate/